Raymond Lulle

Raymond Lulle
Raymond Lulle
    L’exemple de Raymond Lulle montre à quel point, vers la fin du XIIIe siècle, la philosophie pouvait être considérée non pas comme un hors-d’œuvre, mais comme une exigence impérative de la vie chrétienne. Raymond Lulle appartenait par sa naissance (il est né à Majorque en 1235) à cette partie du monde méditerranéen qui était en perpétuel contact avec le monde arabe ; il écrit en langue vulgaire des livres par centaines, et il est l’auteur de poèmes et d’ouvrages mystiques non moins que de l’Ars generalis. A partir de 1265, année où il eut une vision, le but unique de sa vie et de ses œuvres fut la conversion des infidèles. S’il entreprit ce vaste travail logique, connu sous le nom d’Ars generalis, s’il essaya de le répandre, de le rendre populaire, d’en faciliter le maniement au point de le réduire à un mécanisme, c’est que, comme autrefois les hommes du XIIe siècle, il utilisait le raisonnement à la défense de la foi. C’est pourquoi aussi, comme autrefois saint Anselme, il donne grande place à la raison, et « il entend prouver les articles de foi par des raisons nécessaires », soumettant d’ailleurs entièrement la philosophie aux buts de la théologie. C’est donc un pur dialecticien, et, bien qu’il ait les mêmes ambitions que Roger Bacon, il est tout à fait en dehors du courant des sciences de la nature. En revanche, comme lui, il insiste sur la nécessité, pour les missionnaires, d’apprendre les langues orientales ; possédant lui-même la connaissance de la langue arabe, il réussit au Concile de Vienne, en 1311, à faire adopter la décision d’enseigner l’arabe et l’hébreu à la curie romaine et dans les grandes universités. Lui-même, il passe ses années à parcourir la chrétienté pour répandre ses idées ; en 1288, il enseigne à Paris son Ars generalis ; plus tard, en 1294, il soumet un plan de croisade au pape Célestin V, puis à Boniface VIII en 1295, à Philippe le Bel en 1298, à Clément V en 1302. En 1298 et en 1310, il séjourne à Paris pour combattre l’influence qu’y avait l’averroïsme. Plusieurs fois, il va en pays mahométan, en 1296 à Tunis, en 1306 à Bougie, où il retourna et où il est assassiné en 1315.
    Dans ces conditions, on comprend le caractère pratique qu’il prétendit donner à son Ars generalis. Le problème qu’il veut résoudre est né d’Aristote. Celui-ci distingue les principes communs à toute science et les principes propres à chacune. Il s’agit de trouver « une science générale pour toutes les sciences, et telle que, dans ses principes généraux, soient contenus les principes de toutes les sciences particulières, comme le particulier dans l’universel ». Le Grand Art est donc la science suprême, d’où dépendent toutes les autres. Ce qui le distingue entièrement de la logique, c’est qu’il est un art d’invention et de découverte. Chez Aristote (chapitre final des Analytiques), les principes n’étaient pas fondés en démonstration, mais ils reposaient sur l’expérience et l’induction. D’autre part, toute démonstration suppose que l’on a découvert le moyen terme, et il faut reconnaître que les préceptes donnés par Aristote pour cette découverte restent assez vagues. Raymond Lulle se vante de résoudre du même coup ces deux problèmes. Il part de cette idée que toute proposition se réduit à des termes, et que tous les termes complexes sont composés de termes simples. Si l’on suppose que l’on a dressé la liste de tous les termes simples ou principes, on obtiendra, en les combinant de toutes les manières possibles, toutes les vérités possibles. Ce principe de la combinaison, ébauchée par Aristote, est l’idée originale et essentielle apportée par Lulle. Les difficultés étaient de deux sortes : découvrir les termes simples et trouver une règle pour en déterminer les combinaisons. Lulle a bien vu que ces termes devaient comprendre, outre des termes absolus, tels que bonté, sagesse, etc., des relations (telles que différence, contrariété) qui fussent comme les cadres des combinaisons, des questions qui sont comme les cadres de l’invention du moyen terme, des sujets desquels peuvent se dire les autres termes ; mais il y a beaucoup d’arbitraire dans le choix des neuf prédicats absolus, qui sont neuf attributs de Dieu, des neuf relations, des neuf questions, des neuf sujets, à quoi s’ajoutent neuf vertus et neuf vices. Sur le second point, il manque à Lulle le calcul des combinaisons, dont Leibniz devait se servir dans son De Arte combinatoria, pour résoudre le même problème.

Philosophie du Moyen Age. . 1949.

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